LES DEUX RIVES DE LA NOSTALGIE

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May 20, 2023 at 12:00 pm MJC des 3 Maisons, 12 rue de Fontenoy, Nancy

Nos ancêtres, qui sont tous décédés à présent, sont arrivés en Turquie dans le cadre de cet échange en 1923, en provenance d’Héraklion, en Crète. Notre grand-père paternel, Ismail ÖZEROL (né en 1327 selon le calendrier musulman*), était le fils de Cafer et Selime (Plakanou), et notre grand-mère, Gülsüm (née en 1332**), était la fille de Hüseyin et Melek (Fournarou). Notre grand-père maternel, Ali ÖZTEKIN (né en 1332**), était le fils de Muharrem et Zekiye (Cevri), et notre grand-mère, Melek, née en 1927, était la fille d’Ali (Cemalaki) et Hatice. Après leur arrivée dans le cadre de l’échange, notre grand-père İsmail a ouvert un magasin de chaussures appelé «Aldatmaz Kundura», et notre autre grand-père, Ali, a ouvert un magasin de tailleur nommé «Ali Öztekin». Ils ont essayé de survivre à Tarsus, puis se sont finalement installés à Mersin.Nos ancêtres n’avaient que 10 à 15 ans lorsqu’ils sont arrivés en Turquie et ils sont décédés vers l’âge de 90 ans, regrettant de ne pas avoir pu retourner s’installer en Crète et en particulier de ne pas avoir pu revoir les tombes de leurs parents restés là-bas. Leur question «Ah bre Ismail Efendi, allons-nous en Crète avant de mourir ?» est gravée dans nos mémoires.Quand nos grands-parents sont arrivés, ils ne parlaient pas du tout le turc, mais au fil du temps et malgré de nombreuses difficultés, ils ont commencé à mélanger les deux langues. Quelques mots crétois, des mandinades, de délicieux plats crétois et les chansons que nous écoutions, comme Samiotissa, My Kanarini, To Gelekaki, sont restés dans nos souvenirs.Nous ne vous oublierons jamais, vous qui êtes venus par l’échange et avez commencé à travailler à partir de zéro sans jamais perdre la joie et l’esprit crétois si particuliers, malgré toutes les difficultés que vous avez traversées.Melek et Gülsüm Öztekin *1909 / **1913

A Apollonia, son village natal près de Proussa (actuellement Bursa), mon grand-père, Nikolaos était maréchal-ferrant.Il raconte : « Avec nos compatriotes turcs, nous vivions en harmonie, jusqu’à ce qu’intervienne le soulèvement et que nous soyons contraints à abandonner la terre qui nous avait donné naissance. Nous avons chargé les affaires indispensables dans un petit bateau, pour une première étape à Silivria en Thrace orientale. Après y être restés plusieurs jours, nous avons pu embarquer sur un autre bateau plus grand. Il y avait un monde fou sur le quai ! Beaucoup de gens, les mains chargées de toutes sortes d’objets et accompagnés de leurs jeunes enfants avaient du mal à grimper sur le bateau. Les hommes de l’équipage nous poussaient avec la crosse de leur fusil et beaucoup de gens tombaient dans la mer sans que personne ne vienne à leur secours. Ma femme, en montant l’escalier étroit, tenait le bébé avec ses dents, Elli et Dimitris par la main. Nous nous sommes installés dans un coin de la cale du bateau. Giorgakis était brûlant de fièvre et avait pour seule nourriture une noix que sa mère mâchait un peu avant de lui donner. Notre souci était qu’il ne meure pas sur le bateau et qu’on soit obligés de le jeter à la mer. La faim ne passait pas avec le peu de blé bouilli qu’on nous distribuait et les poux nous démangeaient. Nous avions deux ou trois pièces d’or cachées dans l’ourlet de la robe d’Elli ; nous avons donné à Dimitris une livre pour acheter un peu de pain. Il vit deux personnes manger du pain mais quand il a compris qu’ils ne lui en vendraient pas un peu, il le leur a arraché des mains et il s’est sauvé en courant.Nous sommes arrivés à Kavala, où nous avons étalé nos petites affaires sur les pavés du quai. Giorgakis n’a pas survécu et nous l’avons enterré là. Au début, Anthi a travaillé ici et là et Dimitris vendait des petits pains. Moi, petit à petit j’ai acheté les outils indispensables pour construire une cabane et ferrer des animaux. Dans cette confusion, nous avions peur que nos enfants qui étaient petits soient enlevés et qu’ils disparaissent. En effet, des malins étaient à l’affut, les trompaient et les enlevaient pour les donner à des familles sans enfant.Le paludisme fauchait les corps, beaucoup mouraient, et nous, nous n’étions pas habitués à vivre en ville. En 1924 nous sommes venus à Kotsana, maintenant Perea, près d’Edessa parce que cet endroit ressemble au nôtre. Ici il y a un lac, de l’air pur et des villages où je peux ferrer des animaux. »

 

Politis DOUBARATZIS

Ma famille, à la suite de l’échange de population, a migré en Turquie en 1924 du village de Grevena en Grèce (l’ancien nom Krifts), le nouveau nom Kivotos. La ville de Grevena et le village de Krifts sont situés au nord-ouest de la Grèce, à environ 180 km à l’ouest de Thessalonique.Mon père, Fehmi Yılmaz, est né en 1921 dans le village de Krifts et est arrivé en Turquie à l’âge de 3,5 ans lors de l’échange de population et est décédé en 2012 à l’âge de 92 ans. Ma mère, Melike Yılmaz, est née en 1927 dans le village Yeşilburç de Niğde, en Turquie, elle est toujours en vie. Ma grand-mère, Zarife Yılmaz, avait 33 ans lors de l’échange de population. Un jour de 1975, j’ai secrètement enregistré sa voix sur cassette à son insu, lui faisant raconter notre histoire de migration. Voici ce qu’elle a dit :- Tous les habitants du village de Krifts, soit 259 ménages, collectivement mis en route en 1924 sur des chevaux et des calèches. Le premier arrêt était le village de Yangov sur la route. Ils sont restés ici 2 jours.- Après le village de Yangov, ils sont venus à la ville de Kozan. Ils sont restés ici pendant 12 jours et se sont reposés.- Après Kozan, ils sont venus dans la ville de Veria et y sont restés 5 jours dans des tentes préparées à l’avance.- Après Veria, ils ont déménagé à Thessalonique. Lorsqu’ils sont arrivés à Thessalonique, ils ont parcouru un total de 180 km. Après une attente de 4 jours, les habitants des villages de Krifts, Çurhli et Duvrunitsa, (leurs anciens noms), sont montés à bord du bateau Gülcemal, qui a accosté au port de Thessalonique.- Le bateau Gülcemal, parti de Thessalonique, est arrivé à İzmir après un voyage de 3 jours et 3 nuits.- Après 1 mois d’attente à İzmir, ils ont pris le chemin pour Isparta. Ils sont restés ici pendant 3 mois. De là, ils sont passés à Akşehir. Ils sont venus à Ulukışla en prenant un train de marchandises depuis Akşehir.- Ils sont venus au village d’Uluağaç en calèches d’Ulukışla. Après avoir vécu ici pendant plus d’un an, ils se sont installés dans le village de Yeşilburç (anciennement Teney), à 5 km du centre-ville de Niğde.Aycan Yılmaz

Je suis Thémistoklis Soutzopoulos fils de Germanos et de Despina Katirtzoglou. Je suis né le 10 octobre 1910 à Saframpoli, en Asie Mineure. J’avais un grand frère, Prodromos et deux plus jeunes, un frère Xénophon et une sœur Théocharia.Mon père, Germanos Soutzopoulos, était instituteur. Il enseignait dans l’école primaire grecque de Saframpoli et, en même temps, il était prêtre à l’église Saint Stéphanos. Ma mère s’occupait des tâches ménagères.Au début du XXe siècle, Saframpoli comptait 3 200 habitants chrétiens et environ 12 000 Turcs. La langue de communication des habitants était le turc. Nous parlions grec à l’école et à la maison avec mon père. Notre mère ne connaissait que le turc. Les habitants turcs de Saframpoli s’occupaient d’agriculture et de commerce. Les Grecs étaient des artisans, des bâtisseurs et d’excellents tailleurs de pierres, les meilleurs de la Turquie. Les relations entre les habitants turcs et chrétiens étaient excellentes jusqu’en 1908. Après, les problèmes ont commencé et les relations se sont dégradées après 1918-1920.C’est ainsi qu’ils nous appelaient injurieusement «guiaours».En 1922, après la catastrophe de Smyrne, mon père devait être exilé à Théodosia. Mais il n’y est jamais allé, car le soir, souhaitant effectuer des travaux agricoles sur son vignoble, il est tombé et s’est cassé la jambe. Il a été soigné à l’hôpital et quand il a été guéri, il a été exilé à Constantinople. Il a alors loué sept mulets sur lesquels nous avons chargé nos affaires et nous sommes partis avec la caravane jusqu’à Parthénio. Nous avons embarqué à bord d’un navire à destination de Constantinople après avoir été minutieusement contrôlés. Nous sommes restés pendant deux ans à Constantinople, jusqu’en novembre 1924. Mon grand frère, Prodromos et moi-même, avons travaillé en tant qu’employés privés dans des établissements commerciaux, parce que notre famille était confrontée à des problèmes financiers. Le père a été placé par l’évêché de Derva prêtre dans le village de Bahtsé-kioï, près de Constantinople. Avec les habitants de ce village, nous sommes partis pour la Grèce, en application de l’échange obligatoire des populations du Traité de Lausanne.Mon père a été nommé prêtre à Polycarpi.Sa femme-notre mère- et nous les enfants restâmes à Edessa. Je suis allé au collège d’Edessa pendant deux ans et ensuite j’ai arrêté mes études parce que je devais travailler. Par hasard, j’ai rencontré un ingénieur du réseau routier qui m’a pris à son service. La construction et l’entretien des routes sont devenus mon métier. J’ai épousé en 1943 Olympia Pescoulidou, originaire de Tsalatza, et nous avons eu deux enfants, Julia et Yorgos.En 1985, j’ai visité Saframpoli. J’ai trouvé notre maison, la maison de mon grand-père, l’école, l’église. Les occupants turcs de la maison m’ont accueilli chaleureusement

Une histoire d’échange qui s’étend de Kayalar-Koçana à Suşehri-Ezbider, racontée par Emeti Başel, la première génération de réfugiés.»Nous sommes originaires du village de Koçana dans la région de Kayalar à Thessalonique. Notre village était un grand village turc situé près du lac. Toute notre communauté est originaire de Konya. On nous appelait les Konyarlar à Koçana»Un jour, une rumeur a circulé dans le village. C’était un jour de neige et de froid. Notre chef de village, Katip Mustafa, a dit : ‘Ils vont nous envoyer en Turquie et des migrants viendront occuper nos terres.’ Nous ne pouvions pas y croire. Quinze jours plus tard, environ 100 migrants sont arrivés dans notre village. Ils étaient démunis, affamés et épuisés. Nous avons eu de la compassion pour eux. Nous avons partagé notre pain et notre nourriture avec eux. Une famille grecque de Bursa, composée de 4 personnes, a été placée chez nous. Ils parlaient turc. C’étaient de bonnes personnes.Puis vint le moment de la séparation. Nos voisins nous ont emmenés à Ostrofo près de Thessalonique sans rien demander en échange, avec nos affaires. Ils sont ensuite rentrés. Nous avons été installés sous des tentes à Ostrofo. Nous y sommes restés environ un mois. Bien sûr, la vie sous tente était difficile. Un soir, notre chef de communauté est venu de Thessalonique avec une bonne nouvelle. Le navire qui devait nous emmener en Turquie était arrivé.Notre voyage a duré environ dix jours. Finalement, les responsables ont dit : ‘Allez, préparez-vous, dans une heure nous serons à Giresun.’ Mais nos aînés ont déclaré : ‘Nous ne connaissons rien à la noisette. Nous sommes des ouvriers agricoles.’ Ils n’ont pas voulu rester à Giresun. Nous avons été provisoirement installés dans les maisons laissées par les Grecs. Ces endroits ne pouvaient pas être appelés des maisons. Notre moral était très bas. Nous étions très tristes. Les portes, les fenêtres, les plafonds, les sols avaient disparu dans ces maisons.Les habitants les avaient démontés et utilisés ou bien brûlés comme du bois. Quinze à vingt familles sont restées à Giresun. Nous n’y sommes pas restés.Un mois plus tard, ils nous ont envoyés à Karaysar (Şebinkarahisar). Ils nous ont installés dans une maison laissée par les Grecs au pied du château. Après 4 mois, nous avons été répartis à Ezbider (Akıncılar). Nous avons de nouveau pris la route de l’exil.Parfois, ma terre natale se dessine dans mon esprit. Koçana apparaît dans mes rêves.Erdoğan Erdoğan

Je m’appelle Anatoli Paraskeva, née Yokaraki, à Polycarpi près Aridea dans le département de Pella le 19-2- 1926 de parents originaires d’Asie Mineure. Ils m’ont donné le nom «Anatoli» (Orient) pour me souvenir de leur patrie.Ma mère Domna Fafesa est née à Demirtas près de Proussa (actuellement Bursa) et mon père Kostas Gokarakis à Skamies près de Panormos.Mes parents étaient agriculteurs et leur activité principale était la soie.Après la destruction de Smyrne en 1922, ils quittèrent leur village avec des charrettes. Ils sont allés à Raidesto et par bateau, ils ont d’abord abordé à Kalamata, puis à Polycarpi près d’Aridaia où ils se sont installés, car le lieu leur rappelait leur village de Proussa.J’ai épousé Dimitros Paraskevas, né le 25-12-1916 à Parsa près de Smyrne. Avec Dimitros, nous avons eu trois enfants : Efmorphia, Vassiliki et Nicolas. Mon beau-père Stratis Paraskevas était né à Kasamba près de Smyrne en 1875 et il est décédé en Grèce le 28-6-1964. Ma belle-mère Photo est née le 3-1-1885 et elle est décédée en Grèce le 2-11-1959.Les parents de mon mari, Stratis et Photo, ont eu quatre enfants : Lambrini, née en 1910, Ioannis, né en 1914, Dimitros, né en 1916 et Sultana, née en 1918. Ma belle-mère, Photo, est venue seule avec ses quatre enfants en Grèce parce que son mari était prisonnier de l’armée turque pendant trois ans à Eski-Sechir.Après la destruction de Smyrne, elle a embarqué comme elle le pouvait avec ses enfants sur un bateau qui les a conduits au Pirée. Au cours de son voyage, sa plus jeune enfant, Sultana, est décédée. La mère courageuse a caché sa douleur et n’a rien dit parce qu’elle ne voulait pas qu’on jette son enfant mort dans la mer. Dès leur arrivée au Pirée, elle est allée l’enterrer seule au cimetière.Du Pirée, ils sont allés à Edessa où ils se sont installés, car ce lieu leur rappelait leur pays.En 1984, nous avons visité, avec mon mari Dimitros, la maison de ma mère Domna, dans le village de Demiras. Les occupants turcs de notre maison nous ont accueillis et nous ont guidés dans ses pièces, que j’ai tout de suite reconnues, d’après les récits de ma mère. Le village a aussi eu la visite de mes enfants, Nicolas avec sa femme, mon petit-fils et ma fille Vasiliki en 2008. Ils ont trouvé très facilement la maison, grâce aux premières photos que nous avions prises avec mon mari lors de notre visite.Mes enfants ont visité aussi, en 2002, la maison familiale de leur père à Parsa (Bayiourdou), près de Smyrne. Là aussi, les occupants turcs leur ont ouvert la porte, les ont accueillis chaleureusement et les ont installés chez eux.Anatoli PARASKEVA

Monsieur Rasim était un homme attaché à sa terre, comme de nombreux insulaires qui travaillaient sur des navires. Jusqu’à l’échange qui a eu lieu à la suite du Traité de Lausanne, il vivait à Resmo dans une petite maison, avec sa belle-mère Fatma (que tout le monde appelait «Kandi»), sa femme Emine, sa fille Hamide et son fils Hüseyin. Sa fille avait 8 ans et son fils 6 ans. Lui-même devait avoir dans la trentaine.Bien qu’il ait quitté de nombreuses fois le port de Resmo pour rentrer chez lui, dans l’espoir de revenir un jour, partir pour ne plus jamais revenir, jeter un dernier regard sur sa terre natale, cela a laissé en lui, comme pour de nombreux échangés, une douleur profonde indescriptible pour le reste de sa vie.Les années passèrent dans d’innombrables difficultés, comme pour beaucoup d’autres. Lorsque la loi sur les noms de famille fut adoptée, Rasim Bey se rendit au bureau de l’état civil et lorsque des larmes lui vinrent aux yeux en répondant à la question sur sa patrie, il n’en tint pas compte lorsque l’employé lui dit : «Oh, tu sembles tellement attristé, que ton nom de famille soit ‘Attristé'». Il n’y fit pas objection non plus. La famille vécut pendant longtemps avec ce nom de famille. Des années après le décès de Rasim Bey, le nom de famille de la famille fut finalement changé en «Oltu» par décision judiciaire.Aujourd’hui, seule la fille de Hüseyin Oltu, Gülseren, issue de la famille qui est arrivée de Resmo en Crète, est encore en vie. Tout ce qui reste de la famille, c’est en grande partie des souvenirs vagues et une profonde gratitude envers ceux qui ont vécu ces événements.La fille de Gülseren, la petite-fille Banu Bulut

Ekaterini Stavridou, née Motsa, est née à Yendzès en 1914. Yendzès était un village au bord de mer qui faisait partie de la province de Panormos. Les habitants du village étaient des Grecs, les Turcs étaient peu nombreux, principalement des officiels, représentants de l’état ottoman.Le père d’Ekaterini était Sotirios Motsas et sa mère Marigo. Son père, comme la plupart des villageois, s’occupait de pêche, de production de légumes et de charbon. Sotirios et Marigo ont eu deux filles, Polyxéni et Ekaterini. Malheureusement Marigo est décédée jeune et ses deux filles ont été élevées par la grand-mère Kyriaki, la mère de Marigo.Leur vie s’écoulait paisiblement jusqu’à ce que, le 16 août 1922, le deuxième jour de la fête du village la nouvelle que les Turcs avaient occupé Smyrne et que l’armée turque se dirigeait vers le nord a éclaté comme un coup de tonnerre. Les gens affolés ont commencé à entasser dans des baluchons quelques effets, des produits de première nécessité et ils se sont dépêchés de fuir pour être sauvés.La famille Motsa les a imités : elle a rassemblé toutes les affaires qu’elle pouvait porter à bout de bras, principalement des vêtements et de la nourriture et elle a suivi les autres villageois. Ils ont embarqué précipitamment sur les caïques et les barques dont disposaient les marins du village et ils sont passés en face dans l’île inhabitée de Phanari où il n’y avait que le phare.Les Yendzotes sont restés dans l’île de Phanari pendant six jours. Le septième jour, un cargo s’est approché d’eux : on les a entassés dans les cales et on les a transportés à Alexandroupolis. Ils sont restés là environ vingt jours jusqu’à ce qu’ils embarquent sur un autre bateau à destination de Thessalonique.De Thessalonique ils se sont retrouvés à Almopia, et plus précisément à Piperia, où s’est installée la grand-mère veuve Mariorakaina avec ses deux petits-enfants orphelins, Ekaterini et Polyxéni.Ekaterini a grandi et s’est mariée avec Nicolaos Stavridis, réfugié de Sykamiès dans la région de Panormos.Nicolaos était né en 1908 à Sykamiès. Son père était Pandélis Stavrakakis et sa mère Despina. Nicolaos avait trois frères et sœurs, Soultana, Kariofylli et Panayiotis.Nicolaos Stavridis et sa femme Ekaterini ont vécu à Edessa. Nicolaos était maçon, mais il travaillait comme cultivateur sur le lopin de terre que lui avait attribué la Commission d’Installation des Réfugiés. Il a bâti sa maison de ses propres mains ; là où sont nés et ont grandi les trois enfants qu’il a eu de son épouse : Ioaquim, Despina et Kyriaki.Leurs deux filles, Despina et Kyriaki sont allées visiter la patrie de leurs parents, Yentzé et Sykamiès en novembre 2006.Kyriaki et Despina

Mon père, surnommé Yörük Sülman (Süleyman), est né en 1898 dans la ville d’Eğribucak (Nea Apollonia) sur la rive du lac Beşik dans le district de Langaza de la province de Thessalonique. Son père Ahmet a été enrôlé dans l’armée lorsque la guerre des Balkans a commencé en 1912 et a été envoyé sur le front de Yanya. Il n’est pas revenu de la guerre. Süleyman, qui s’est retrouvé sans père à l’âge de 14 ans, s’est occupé de la famille avec son frère aîné âgé de 16 ans, Ali. En plus de l’agriculture et de l’élevage à petite échelle, ils vivaient de la pêche dans le lac Beşik (Limni Volvi).Pendant l’échange, leur mère Habibe, leur frère aîné Ali et leurs sœurs Asine et Cevriye ont été réinstallés tous dans le village de Malkara. De son mariage avec Ayşe, également originaire d’Eğribucak; ils ont eu quatre enfants, Fatahan, Şahsine, Ramazan et Kamile. Dans les années 1930 ; sa femme Ayşe, sa mère Habibe et la femme de son frère aîné Nimoş sont décédées à 22 jours d’intervalle en raison d’une épidémie. Quatre jeunes enfants sont devenus orphelins. Le plus jeune, Kamile, 1 an, a été adoptée par sa sœur Asine. Des proches ont aidé à prendre soin des trois autres enfants pendant un certain temps.Au cours de l’échange, la famille de l’imam İskender (sa femme Feride, ses filles Şerife, Arzu, Naciye, Emine, ses fils ; Üzeyir et Ömer) du village Kızıllı de Langaza (Partheni) a également été réinstallée dans le village Deveci rataché à Malkara.Le mariage d’Arzu, l’une des filles de l’imam Iskender, fut de courte durée. Elle est devenue veuve très jeune à la mort de son mari.Les destins communs de Süleyman, devenu veuf à la mort de sa femme, et d’Arzu, née en 1910, devenue veuve après la mort de son mari, les ont rapprochés. Salih, Sefer et Feride sont nés de ce mariage.Mon père, qui a pris comme nom de famille Güvenç lorsque la loi sur le patronyme a été promulguée, n’a pas beaucoup parlé de sa vie avant l’échange, du processus de migration et des épreuves qu’il a subies. Ma mère, quant à elle parlait souvent de leur vie à la campagne, du processus de migration et des difficultés qu’ils ont endurées. C’est d’elle que j’ai entendu pour la première fois, les souffrances des personnes soumises à la migration forcée des deux côtés de la mer Égée. Mon père est mort à 89 ans et ma mère à 79 ans, sans jamais voir le pays où ils sont nés.Sefer Güvenç

Je suis Christos Stafilis, 61 ans, né à Mytilène, où j’ai toujours vécu jusqu’à aujourd’hui. J’ai, du côté de mon père, Stathellis Dimitris, des origines en Asie Mineure, précisément d’Aïvali, où il est né en 1912. Notre famille était établie à l’origine dans le village d’Agios Konstantinos près de Tsesmé et elle s’est installée vers 1850 à Aïvali. Leur maison est encore préservée, rue Barbaros Sokak n° 19, devant laquelle je passe et que je vois chaque fois que je visite Aïvali ; j’ai même fait la connaissance de ses propriétaires actuels.D’après les récits de mon père, c’est le capitaine Kyriakos Gilaris, père de ma grand-mère, qui assurait le commandement de toute la famille. C’était une famille traditionnelle de marins, ils avaient des bateaux et ils s’occupaient de transport maritime, de commerce et de pêche. Bien sûr, ils avaient des champs où ils cultivaient traditionnellement des olives.Pendant les guerres balkaniques (première expulsion), les membres de la famille ont été déplacés par les autorités à Balikechir. De là, ils ont trouvé un moyen de s’enfuir pour retourner à Aïvalı, tandis que d’autres Grecs ont été contraints de rester là-bas pendant deux ans.Jusqu’en 1922, la famille de mon père est restée à Aïvali. Durant l’été de cette année-là, lorsqu’ont commencé à arriver les informations sur l’effondrement du front de l’armée grecque, qui se trouvait en Asie Mineure, le capitaine Kyriakos (mon arrière-grand-père) a fait embarquer dans un bateau toute sa famille, dont ma grand-mère Athina avec ses 7 enfants et il les a envoyés à Mytilène. Lui-même est resté à Aïvali pour s’occuper de son travail et de leurs biens. Depuis lors et après les événements dramatiques de septembre 1922, les traces du grand-père Kyriakos et d’autres membres de la famille élargie, qui étaient restés à Aïvali, ont été perdues.La famille de mon père (alors âgé de 11 ans) a débarqué à Aspropotamos près de Mantamados. Au début, ils résidaient à Thermi de Mytilène. Ensuite certains sont restés à Thermi, d’autres se sont installés à Vafios près de Molyvos et ma grand-mère dans la ville de Mytilène. Lorsque la situation s’est calmée, plusieurs années après 1922, le Service des Personnes Echangées leur a attribué une maison dans le quartier des réfugiés à Mytilène, où ils ont commencé leur nouvelle vie.Malgré les problèmes rencontrés, mon père a fréquenté le collège de Mytilène, il a travaillé à la poste et, en 1949, il a épousé ma mère Meropi, originaire de Kalloni, à Mytilène. Je suis né en 1951, exactement 31 ans après l’expulsion de la famille de mon père d’Aïvali.

Arif Bey et son épouse bien-aimée Fatma ont eu sept filles. Osman est vénu au monde après ses sœurs et a été marié à Esme, la fille d’Ali Bey, un notable de Kozana. Après avoir transmis ses affaires à son fils unique, Arif Bey s’est retiré dans son coin et est décédé en 1912, trois mois après la naissance de son petit-fils Ziya.En 1912, avec la guerre des Balkans, les terres d’Europe que l’Empire Ottoman avait abandonnées étaient vidées par la population musulmane conformément à l’accord d’échange de Lausanne du 30 janvier 1923. La famille d’Osman Bey a embarqué sur le navire Altay le 22 avril 1924. Sa mère est décédée le soir du 25 avril 1924. Bien que ce soit la première fois qu’un décès se produise sur ce navire, on leur avait dis que les personnes décédées étaient jetées à la mer. Osman Bey bouleversé par cet événement tragique, survenu lors du dernier jour de la traversée en mer, ne voulait absolument pas que le corps de sa mère puisse être jeté à la mer. Pour empêcher cela, ils ont décidé de cacher le décès aux membres de l’équipage jusqu’à ce que le corps puisse être débarqué à terre. Ils ont enveloppé le corps de Fatma avec son tapis de prière pour donner l’impression qu’elle dormait. Ainsi, le souhait de Fatma d’être enterrée est respecté et elle a été inhumée à Samsun où elle n’a jamais vécu, dans des conditions très difficiles, lorsque la famille a débarqué dans le port de Samsun le soir du 26 avril 1924.e tremblement de terre qui a presque effacé Erbaa de la carte le 20 décembre 1942 a surpris Osman Bey en train de faire sa prière de l’après-midi sur le tapis de prière sur lequel il avait recouvert sa mère décédée lors de son voyage en mer. Sa femme Esme, sa belle-fille Kadriye, sa petite-fille Aymenur et deux autres résents à la maison sont morts.Le tapis de prière, également endommagé lors du séisme, a été donné par les frères et sœurs d’Osman Bey, au musée d’échange de Çatalca sous le nom de «Tapis de prière blessé» (Yaralı Seccade).Süleyman KARA

Ma mère Sophia Loukidou est née en 1912 à l’ancienne Alikarnassos aujourd’hui Bodrum.La famille de mon père Loukas était originaire de l’Epire du Nord et plus précisément de la ville de Korytsa. Le grand-père de ma mère Georgakis s’est installé à Mugla (en Asie Mineure), emmenant avec lui ses frères et sœurs, comme 40 autres familles ; là ils s’occupaient d’exploitation forestière et de commerce du bois, grâce aux vastes forêts de ces endroits. Toujours avec la fustanelle, le bonnet fourré, le couvre-chef de la tenue des euzones avec le long pompon et les tsaouches1, ils ont créé leur propre quartier à Mugla, «Ta Arvanitika».La famille de mon arrière-grand-mère était également originaire d’Épire ; elle est aussi venue en Asie Mineure et elle s’est installée à Mugla. Plus tard, la plupart des enfants de la famille sont partis pour l’Amérique en suivant le flux migratoire de l’époque vers le Nouveau Monde.Les ancêtres de la mère de Despina sont originaires de l’Asie Mineure, de Mugla, de Smyrne et de l’ancienne Alikarnassos, et ont donné le paronyme Hatzisavvas. Mon grandpère Loukas Loukidis a épousé ma grand-mère, Despina Hatzisavva, et il s’est installé à Alikarnassos, où il était instituteur et chantre à l’église Saint-Nicolas. Ils ont eu 2 garçons et 2 filles, les deux garçons sont morts d’une épidémie de typhoïde en bas âge.« Nous vivions harmonieusement avec les Turcs à Alikarnassos, nous les Petroumianoi nous étions évidemment les plus nombreux, mais ils étaient tous des gens bien, tous ! Esra Hanoum était la meilleure amie de ma mère, avec leurs enfants nous jouions toute la journée. » : C’est ainsi que ma mère Sophia Loukidou décrivait leurs conditions de vie ; « … puis les Tsetes sont venus à cheval, cruels avec leurs voix et leurs sabres, déchirant l’air, et détruisant tout … encore maintenant, je ressens de la crainte en évoquant ces images ».Pendant près d’une décennie, ces Grecs ont erré dans le Dodécanèse, de Kos, à Rhodes, à Nisyros, à Symi et en 1933 et ils se sont installés en Crète, puis dans le quartier des réfugiés Néa Alikarnassos.Je n’ai pas eu la chance de connaitre mon grand-père et ma grand-mère. Ils sont partis tôt comme la sœur de ma mère. Notre maison sentait la cannelle et la giroflée ; elle était toujours ouverte à tout le monde. Lors de la veillée les soirs se remplissaient du son de la mandoline et des chansons de la patrie, pleines d’amour et de nostalgie, avec tous les voisins qui se rassemblaient pour chanter leur peine. Ils nous ont quittés tous les deux il y a quelques années ainsi que mon père Yorgos.Aguela MARNELLOU

La famille, qui possédait un complexe de magasin dans le district de Kanlı Çeşme à Nefs-i Yanya, vivait dans la prospérité économique.Jusqu’en 1913, ils entretinrent de très bonnes relations avec la population locale. Au fil des années, les diverses provocations ont rendu ces relations parfois hostiles. D’après les récits amers de mes ancêtres, j’ai entendu dire qu’il y avait des jours où ils ne pouvaient pas sortir dans la rue, aller à l’école et qu’ils étaient souvent menacés.Le moment de départ arrivant, À Ioannina, un comité d’échange a été formé en peu de temps. Les amis grecs de mon grand-père, qui l’aimaient beaucoup, ont insisté pour qu’il reste. Cependant, ma grand-mère décide de partir et se rend au comité, en déclarant qu’elle veut déménager et inscrit son propre nom et celui de ses filles. Malgré les objections de mon grand-père, ma grand-mère commence les préparatifs du voyage. rivée à Preveza, ils montent à bord du navire « Sulh ». Après 7 à 8 jours de voyage ils arrivent enfin à Tuzla à Istanbul. On les place en quarantaine à « Tahaffuzhane » (sanatorium) et ils passent la nuit sous les oliviers du jardin du camp. Le lendemain, ils embarquent à nouveau sur le bateau et se dirigent vers Pendik. La commission d’échange accueille les visiteurs et distribue aux familles les adresses des maisons où elles vont s’installer. Lorsque mes parents se rendent à l’adresse qui leur avait été donnée, les vrais propriétaires de la maison, les « Rums », leur ont très tristement donné la clé de la maison. Aucun des membres de la famille ne parle turc, il n’y a pas de travail. Comme ils ne parlent pas turc, ils n’ont pas de relations de voisinage. Ils ne traînent qu’avec les gens de Yanya. ous les membres de la famille vivaient avec la nostalgie et le rêve Yanya, où ils sont nés et ont grandi. Bien qu’ils aient voulu retourner dans leur patrie, dont ils rêvaient, malheureusement, cela n’a pas été possible pour des raisons politiques. La seule raison à cela est qu’ils sont nés à Yanya…Ma mère de cinq ans, qui ne parlait pas le turc, part de la terre où elle est née en disant «Adios» et commence une toute nouvelle vie en Turquie.Sule Kılıç

Revenons de nombreuses années en arrière. Allons dans deux villages d’Asie Mineure à Gürümzé près de Feke dans la région d’Adana et à Tastsi près de Develi dans la région de Césarée.A Gürümze vivait mon arrière-grand-père Petrosian Guiran d’origine arménienne ; il a épousé Daniilidou Eva, grecque (mon arrière-grand-mère née en 1885). Ils eurent 3 enfants : Murat (mon grand-père né en 1905), Ellisso et Théano. Un jour Guiran a été tué et Eva est restée veuve. Après quelques années, elle a épousé Hatziliadis Savvas Grec, prédicateur de l’église évangélique de Gürümze. Ils ont aussi eu un enfant, Alekos Hadtzihiliadis.Mon grand-père Baroutoglou Christos a vécu à Tastsı; il était marié avec Doxa, ils ont eu 4 enfants Stéphanos, Timothéos, Despina (ma grand-mère née en 1916) et Altin (Chrysi). La famille de ma grand-mère est aussi partie de Tastsı en 1922 avec l’échange de population sur le même bateau, et en 1923 ils sont arrivés dans notre lieu actuel, le village Néo Milotopos. Là, on ne les a pas accueillis à bras ouverts. Ils ont eu beaucoup de problèmes avec les habitants qui vivaient ici (qui étaient slavophones) : on les appelait ‘’les Turcs’’.Ils ont construit leurs maisons au prix de beaucoup d’efforts. Ils cultivaient la terre et ils élevaient des animaux.Comme il y avait beaucoup de pauvreté, beaucoup d’enfants étaient proposés à l’adoption ; c’est ainsi que ma grand-mère a été adoptée par le chef du village Grigoriadis, qui l’a élevée.Mon grand-père Chatziiliadis Mourat et ma grand-mère Baroutoglu Despina qui s’était mariés en 1933, ont eu 5 enfants. Savvas Chatziiliadi né en 1934 (père de Petros le médecin), Samuel Chatziiliadi né en 1936 (mon père), Victoria, Marie et Martha.En 1962 mon père a épousé ma mère Kosmoglou Ioanna (les arrière-grands-parents étaient de Gürümzé) : Kosmaoglou Antonios forgeron, mon grand-père Kosmas Kosmoglou est venu, enfant, d’Asie Mineure et a épousé Despina née Tepnéoglou; ils ont eu 7 enfants Prodromos, Marina, Siméon, Anastasia, Ioanna (ma mère) Yorgios (père de Sophia) et Antonis.Mon père Samuel Chatziiliadis et ma mère Ioanna Kosmoglou ont donné naissance à moi Mouratios Chatziiliadis en 1964 puis à Michaïl Chatziiliadis en 1970.En 1986, j’ai terminé l’école d’agriculture.En 1989, je suis revenu au village ; j’ai épousé Gethsimani Kantaridou (ses arrière-grandsparents étaient de Gürümze) avec laquelle j’ai eu ma fille Ioanna et mon fils Samis. Voilà à peu près l’histoire de ma famille…Je souhaite qu’à l’avenir il n’y ait jamais de difficultés et de guerres entre les peuples, et que règnent la paix, l’amour et l’amitié véritable.Mouratios CHATZIHILIADIS

Mon père, Celil, est né en 1905 en Grèce, à Piperia (Karacaova) dans le quartier Bico. Quand mon père racontait leur arrivée en Turquie, ses yeux se remplissaient de larmes et il soupirait. J’ai grandi avec ces histoires. Aussi loin que je me souvienne, il avait l’habitude de le décrire ainsi :« Nous sommes de Karacaova, inscrits à l’état civil à Thessalonique. Je suis né dans le quartier Bico. Mon père n’est pas revenu de la guerre des Balkans et j’ai grandi avec le désir de mon père, sans le connaître.Le quartier de Bico était un endroit très beau, vert, fertile, humide. Nous avions l’habitude de planter du maïs, et le maïs dépassait notre taille. Les fruits et légumes étaient abondants. Ses montagnes verdoyantes et ses eaux scintillantes donnaient aux gens la tranquillité d’esprit. Nous avions des voisins grecs et nous nous entendions très bien. Puis, des gangs ont surgit. En 1924, mon père, alors âgé de 17 ans, en compagnie de ma grandmère, ma tante, mon oncle avec sa femme et ses enfants, laissant tout derrière eux à Bico, sont venus à Thessalonique, en détresse, après un adieu à la terre où ils sont nés. Celil a également laissé sa bien-aimée, une fille grecque. De là, ils ont embarqué sur le bateau et, après un voyage pénible de plusieurs jours, sont arrivés en Turquie, se sont installés à Edirne Meriç. Ma mère était originaire du district de Sofulu en Grèce. La famille de mes grands-parents maternels a également eu des difficultés lorsque les gangs ont fait des descentes. Des gangs ont attaqué des villages et incendié des maisons. La famille de ma mère est venue du jour au lendemain à Meriç, alors qu’elle n’avait que 6 mois. Ils ont traversé la rivière Meriç en une nuit.Même si les années ont passé, mon père se souvient encore de Bico. Il ne peut pas oublier sa terre natale, l’air, l’eau et la fille qu’il aimait. Mon père avait un petit coffre qui contenait des lettres et des photos. De temps en temps, il l’ouvrait, lisait les lettres, regardait les photos et soupirait : « Ahhhh, laisse-moi voir ma patrie avant de mourir », disait-il, et chantait des chansons grecques et serbes.Hamdiye Cerrahoğlu

Je suis originaire de Kerasounta au bord du Pont-Euxin. Mon grand-père et ma grandmère sont venus en Grèce avec l’échange des chrétiens et des musulmans en 1923.Je me souviens que grand-mère Nazlou nous parlait en pontique et en turc ; elle n’a jamais appris le grec. Mes souvenirs de ma grand-mère sont liés à des images de nourriture et de saveurs : des anchois au gros sel, des pickles, des pitès, des orties et des soupes au maïs. Quand je les interrogeais sur leur vie, tous les membres de ma famille parlaient d’amour pour la patrie qu’ils avaient été forcés d’abandonner et des difficultés auxquelles ils avaient été confrontés lorsqu’ils arrivèrent comme réfugiés en Grèce. C’était un combat quotidien pour la survie.Puis vint la guerre mondiale et la famille de mon grand-père a été dispersée ; une de ses filles s’est installée au Canada, l’autre définitivement dans l’ouest de la Grèce ; mon père avec ses deux fils cadets est resté à Athènes.Moi je suis né en 1957. Il y avait encore des quartiers de réfugiés et des baraques à Kallithéa. Dans les cours blanchies à la chaux, il y avait du chèvrefeuille, du basilic et du jasmin. Le jasmin aux fleurs parfumées était, dans notre imagination enfantine, des étoiles épinglées sur le velours noir du ciel. Tout au long de mon enfance, j’ai été traité de « graine de turc », mais ceux qui nous appelaient ainsi étaient probablement des Arvanites hellénophones christianisés, des Slaves ou des anciens Grecs, d’origine indéterminée. En fait, comme le soutenait l’historien autrichien Fallmerayer2, les Grecs les plus authentiques étaient ceux qui vivaient finalement dans les régions de la mer Noire et de l’Asie mineure.À l’âge adulte, je me suis intéressé assidûment à l’Histoire et j’ai suivi des études de turcologie à l’université de Rethymnon. La connaissance de l’Histoire des peuples turcs au niveau scientifique a bouleversé les images des Turcs que je m’étais forgées lors de ma scolarité élémentaire. Je pense que l’Histoire doit s’enrichir de faits nouveaux qui reconstruiront ses mythes. Le premier livre que j’ai écrit se rapporte à la catastrophe d’Asie Mineure et il a pour titre « La flamme de l’amour et les patries inoubliables de l’Orient ».Christos MACHAIRIDIS

On les appelait Çamlılar. Les trois frères de Karaferye avaient des maisons contiguës en face de la Tour de l’Horloge. Leur surnom Çamlılar venait du grand pin qu’ils avaient dans le jardin. Avant l’échange, la situation financière de la famille était très bonne. Ils avaient 60 titres de propriété, tels que des boulangeries, des boutiques, des oliveraies, des maisons et des fermes. Les ouvriers de leurs fermes étaient des Valaques. Ils n’avaient aucun problème avec leurs voisins grecs. Mais avec l’annonce de l’échange, tout a changé. La souffrance a commencé.On a demandé à Edip Agha de quitter son hôtel particulier. Une grande tristesse l’a couvert. Comme tous les soirs, ma grand-mère lui demandait : «Baba Efendi, je peux t’apporter ton lait ?» Edip Agha n’en voulait pas et demandait qu’on lui apporte de l’eau de La Mecque (zemzem). Après l’avoir bu, il a demandé à ma grand-mère de le couvrir. Le lendemain matin, ils ont vu qu’Edip Agha était dans un sommeil éternel. Comme il l’aurait voulu, sa propre tombe est restée dans le pays où il est né et a grandi.Ils sont partis en train de Karaferye à destination du port de Thessalonique. Ma grandmère voulait s’installer à Tyr (Tire) parce que son parent Abdülrezak Bey, qui y avait fait son service militaire, lui avait dit que c’était semblable à Karaferye. Les premiers temps de leur établissement ont été très difficiles. Le responsable chargé de leur installation avait clairement précisé que les immeubles étaient la propriété des habitants, mais qu’il pouvait leur attribuer, en contrepartie des nombreux titres de propriété qu’ils avaient, les trois quarts de «Yeni Han» et une maison dans le quartier de Bahçekahve. Ils ne pouvaient rien faire, ni même protester. La maison dans laquelle ils se sont installés était dans le quartier des Grecs. Naturellement, les habitants ne les appréciaient pas, ne les acceptaient pas.Ils disaient à ceux qui quittaient la terre de leurs ancêtres : « Aman, ces Rums ne sont jamais partis, ils sont restés comme avant ».La famille Çamlı a continué à porter le même nom de famille à Tire. Mon grand-père est mort à 65 ans. Comme me l’a dit ma mère, elle était très heureuse quand je suis née, car j’étais la première petite-fille qu’elle a prise dans ses bras. Sa tombe se trouve dans le cimetière de Tire à côté de deux pins centenaires. Ma grand-mère est décédée à l’âge de 96 ans…Belgin ÇALLIOĞLU

Papagiannidis Dimitrios né en 1885 et Gialasi Constantina née vers 1900.Dimitrios est né vraisemblablement à Isparta mais il vivait à Constantinople et Constantina était de Gallipoli. Avant l’échange de population Dimitrios vivait de la peinture, on disait qu’il était un des agiographes et des peintres les plus connus de la région ; c’est en réalisant une œuvre dans l’église Sainte Kyriaki qu’il a connu Constantina. Il avait un frère -qui, selon les papiers en sa possession après l’échange, s’appelait Anastasios Zografos3– et deux sœurs, Peristéra Zografou et Panagiota qui est restée à Constantinople.Ils ont été échangés vers 1923 et déplacés de Constantinople à Thessalonique avec leur fils Ioannis Papagiannidis, et de là à Aghia Marina près de Véria. Là, Dimitrios a acheté la maison du bey turc, une maison de deux étages : il y avait en bas des remises et il y a habité avec sa famille. Peu après, il a ouvert la première épicerie du village.A Aghia Marina personne ne voulait d’eux, ni les autochtones, ni les réfugiés de Smyrne. Constantina est morte en 1925 et elle a été enterrée dans le vieux village, car les habitants avaient déménagé après les inondations qui avaient dévasté tout le hameau en 1936. La tombe n’existe plus aujourd’hui.Un an plus tard Dimitrios s’est remarié avec Eléni Vraka de Koritsa; il est mort en 1940 mais sa tombe n’existe plus aujourd’hui. Jusqu’à sa mort, il n’a pas réussi à aller à Constantinople ni même à avoir des contacts avec sa sœur qui était restée là-bas.Adriadni ADONIADOU

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Les réfugiés qui sont arrivés à Tuzla ont été logés, comme dans de nombreux endroits habités par la population locale, dans des maisons grecques qui avaient été pillées et dont les portes et les fenêtres avaient été enlevées.Les jours suivants, la lutte pour la survie et l’adaptation à leur nouvelle patrie qui est la République turque nouvellement fondée, a commencé pour les réfugiés.Un autre problème majeur auquel les réfugiés étaient confrontés, tout en luttant pour leur subsistance et même contre la famine, était leur exclusion et leur marginalisation par les familles se considérant comme «autochtones». Pendant de nombreuses années, les habitants ont résisté aux mariages mixtes, en particulier lorsqu’il s’agissait de donner leur fille en mariage. Les deux camps en sont venus à boire de l’eau séparément à deux becs d’une fontaine, à prier dans une mosquée transformée à partir d’une église car ils estimaient que la mosquée n’était pas suffisante et ils évitaient de passer devant leurs maisons respectives.Cette exclusion et cette ségrégation informelle ont perduré jusqu’aux années 1950. Le changement de pouvoir pendant ces années ainsi que l’amélioration des moyens de communication et de transport, bien que limitée, ont progressivement conduit à l’effondrement de la résistance entre les deux communautés et les mariages ont commencé. La résistance irrationnelle des mères autochtones, qui s’opposaient au mariage de leurs enfants avec les enfants des échangés, a été brisée, bien que cela ait été difficile, mais cette fois-ci, des tentatives de marginalisation par le biais des petits-enfants sont apparues. Les grands-mères autochtones demandaient aux petits-enfants : «Dis-moi si tu es d’ici ou tu appartiens aux échangés ?» Cette situation a persisté jusqu’à ce que les petits-enfants grandissent.Avant l’acceptation des mariages mixtes (entre les natifs et les échangés), l’une des deux personnes qui ont brisé ce tabou d’altérité irrationnel en tant que «frères de sang» était mon défunt oncle Avni Günyer. Sa mère est originaire de Tuzla et son père de Darıca. En tant que journaliste ayant vécu avec mes grands-parents maternels et paternels et ma mère parmi les Grecs, quand je regarde en arrière, je constate que nous avons parcouru un long chemin par rapport au passé.Étant un «autochtone» ayant passé plus de la moitié de ma vie en tant que gendre d’une famille issue de l’échange, telle est mon observation en tant qu’initié.Iskender Özsoy

Papoukidis Andreas (Hatzis) est né en 1892 à Antalya. Ses parents s’appelaient Pantelis et Maria / Marina Pavlidis. Il a épousé Parthéna Vassiliadou / Mavridou, née en 1904 à Hobsa près de Trébizonde. Ils ont été échangés en 1923-1924 et se sont initialement installés brièvement à Athènes et de manière définitive à Néapolis, près de Vios, département de Kozani.Andreas fabriquait des matelas à Antalya. Il a été incorporé dans l’armée ottomane, d’où il s’est échappé et il s’est rendu à Imera près d’Argyroupoli, ville du Pont-Euxin. Là, il s’est caché au monastère d’Imera et a rencontré sa femme, qui vivait au monastère, car elle était restée orpheline et elle avait été prise en charge par les religieuses du monastère.Après leur mariage, ils se sont installés à Hobsa près de Trébizonte, d’où ils sont partis avec l’échange de population. Nous ne savons pas quand ils ont appris l’échange et quels préparatifs ils ont faits. Parthéna avait un petit frère, Démosthène, qui travaillait chez un musulman pour s’occuper de ses chevaux. Avec l’échange, Andréas a assumé la responsabilité du frère de sa femme et du fils de sa sœur Panagiota qui était décédée.Lors de son établissement à Néapoli, il n’a pas rencontré de problèmes particuliers avec les quelques habitants de la région, étant donné que le hameau avant l’échange était essentiellement musulman. Cependant, il avait de nombreux problèmes avec les autres réfugiés, principalement avec ceux originaires du Pont-Euxin. Andreas était turcophone contrairement aux réfugiés pontiques qui parlaient leur propre dialecte. Cette différence a créé de gros problèmes dans sa vie et dans la vie de sa famille. Au point que les Pontiques ne venaient pas acheter chez lui, et ils ont toujours continué à le dévaloriser en l’appelant Hatzi.Andreas, jusqu’à sa mort, a toujours chanté en turc, principalement des ammanés, et s’est toujours souvenu de la patrie dans laquelle il n’est jamais retourné après l’échange, de même que son épouse.Il est mort à Néapoli en 1946 et Parthéna en 1972-1973. Sur aucune des deux tombes n’est indiquée leur identité de réfugiés.Andréas ANTONIADIS